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flute [3 types of flutes], rin gong and scenic installation

Je suis un compositeur japonais.

Je sais, je ne suis pas japonais, la preuve en est que je ne suis pas né au Japon, si on ne croit qu’au lien du sol, ni d’origine japonaise, si on ne croit qu’au lien du sang. Je crois cependant que d’autres liens existent. Je suis de mon côté né d’un sang encore fraichement métissé en ce pays qui ne veut pas naitre, mais qui est. J’aime cependant penser que je suis parfois un compositeur «japonais» parce que j’ai été profondément touché par ce peuple durant les 3 ans où j’ai séjourné dans son pays, par ses musiciens, écrivains, cinéastes… Pendant ces quelques années, bien malgré lui, le Japon s’est approprié mon âme. Je n’ai offert aucune résistance.

Zipangu était le nom donné par Marco Polo au Japon. C’est aussi le titre d’une œuvre bien connue du compositeur québécois Claude Vivier. Une prière pour Zipangu est une idée qui remonte à mon séjour au Japon de 1998 à 2001, où, grâce au soutien du CALQ (Québec) et du BUNKA-CHO (Japon), j’ai résidé et composé une série d’œuvres pour instruments occidentaux et instruments traditionnels japonais.

Comme la pièce est en forme palindromique, sa fin est son commencement, et son «épicentre» dramatique forme l’axe de symétrie. Les mélodies y utilisent un mélange d’échelles sonores allant du plus simple mode japonais de 5 sons jusqu’aux 12 sons de la gamme chromatique. De multiples changements de flûtes et une grande montée vers l’aigu permettent de passer d’une sorte de prière méditative à un appel plus animé, puis revenir à l’état méditatif initial. Fait intéressant, la partition se lit de bas en haut, puis de haut en bas, et j’invite la flûtiste à changer de positions: à genoux, assise et debout. J’y emploie aussi le rin gong, aussi appelé bol tibétain, autant présent dans les monastères tibétains que dans les temples japonais.

Une prière pour Zipangu rend hommage au courage des habitants de la région de Fukushima, durement affectée par la tragédie du 11 mars 2011. L’œuvre fut créée lors d’un concert-bénéfice organisé conjointement avec Claire Marchand et deux musiciens traditionnels japonais, Takinojo Moshizuki et Yoshizumi Koyohide pour recueillir des fonds pour les sinistrés de la catastrophe nucléaire, avec la généreuse participation de Dany Laferrière, qui y avait lu son texte Le japon dans ma chambre en guise de prélude à ma pièce.

Non, je ne suis pas un compositeur japonais.

Je suis simplement assis dans la chambre de mon regard, et je contemple ce qui me semble universel dans la joie et le malheur des humains.

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