orchestre
Ce titre est un énoncé emprunté au philosophe Sextus Empiricus. Au 4e siècle av. J.-C., Pyrrhon fonde dans le Péloponnèse une forme d’école philosophique qu’il nomme «scepticisme». Les «sceptiques» sont — traduit littéralement — des «examinateurs».
On définit généralement l’attitude sceptique comme la foi en l’impossibilité d’en arriver à toute forme de certitude et de connaissance, ce qui reviendrait pratiquement au nihilisme. Mais il s’agit en réalité d’autre chose. En fait, les sceptiques ne cherchent pas une «vérité impossible à atteindre»; certes, leur quête peut sembler infinie, mais pour eux la kyrielle des questions incessantes conduit à une forme d’équilibre de l’âme, au-delà du simple jugement immédiat.
Personnage un peu mystérieux, Pyrrhon n’a laissé aucun écrit philosophique… Ses disciples, en revanche, — dont Sextus Empiricus — ont été plus prolifiques. Pour Sextus Empiricus, la connaissance est hautement relative et il le démontre en dégageant quatre principes fondamentaux, dont la discordance (construction d’énoncés qui ont l’apparence de la logique, mais en fait provoquent un «court-circuit» du sens et du jugement).
Le langage musical peut difficilement prétendre à des dédales sémantiques comme ceux de Sextus. Mais c’est tout de même dans cet esprit que j’ai composé La Neige est blanche, mais l’eau est noire. La musique pourrait en quelque sorte devenir une métaphore dans le domaine sonore de l’énoncé de Sextus (une musique qui bougerait, mais qui, finalement, n’irait nulle part).
Le premier mouvement «Snowball Ciaccona» explore l’idée d’accumulation (l’effet «boule-de-neige») à partir d’un tout petit motif dansant répété, varié et superposé à lui-même inlassablement: c’est le principe de la chaconne poussé à l’extrême. Mais cette frénésie n’aboutit finalement qu’à l’effritement de l’édifice… paradoxe… L’esprit qui s’en dégage n’est pas sans rappeler les bandes dessinées et le caractère parfois un peu burlesque dans leur fausse grandiloquence (Bugs Bunny n’est peut-être pas très loin…). Le deuxième mouvement «Frosted Passacaglia» propose une version «gelée» d’une musique similaire, mais cette fois en forme de passacaille. Alors que la chaconne du premier mouvement métamorphosait constamment la cellule motivique, la passacaille reprend, en gestes larges, une même formule sans véritablement la transformer: un certain calme (ou alors un calme incertain?) semble s’en dégager. Le troisième mouvement «Canto figurato with a melting ground» reprend l’esprit «dansant» du premier mouvement, mais introduit régulièrement de larges mélodies-mélismes (le canto figurato). Comme dans le premier mouvement, la métrique est littéralement «virtuelle»: elle est en mouvance constante (l’idée de melting ground) et nous procure une… fausse… impression de régularité. Ce dernier mouvement semble toutefois plus «dirigé» dans son discours: l’alternance des sections contrastantes se réfère à la forme du rondo avec variations. L’esprit a changé… et nous amène assez loin de ce que pouvait laisser supposer la «Snowball Ciaccona»… L’eau est-elle maintenant noire?
Commande de l’Orchestre du Centre national des Arts à Ottawa, l’œuvre est dédiée à tous les musiciens de l’Orchestre, ainsi qu’à son administrateur, Christopher Deacon.
Denys Bouliane, Cologne, 2003
- Partition disponible auprès de CMC, Région du Québec.
Exécution
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Mardi 8 mars 2005