violoncelle et orchestre

Dédicace:

  • À la mémoire de François Houang, pour l’évocation du Mont TAI, et l’amitié: «… Je vis en ce moment un instant de plénitude: la fusion de mon être avec la longévité de la Chine et avec l’immensité de l’univers… et je suis heureux de communiquer cette joie avec ceux que j’aime»;
  • À Joëlle, ma fille, pour sa compréhension des pierres.
  • À Mireille Helffer, qui m’a fait découvrir le chant des moines coréens du monastère de SAE CHOL, dont l’esprit a été le point de départ de cette œuvre;
  • À Pierre Boulez, en reconnaissance amicale pour ses soixante-quinze ans, car il porte aussi le nom de pierre.

«Les pierres crieront» (Luc 19-40). Une telle image frappe non seulement par sa force, mais par son actualité. Elle s’est imposée comme titre à l’œuvre, une longue montée, conduite par le violoncelle solo, avec méandres multiples et jonctions d’unissons enivrants, interrompue par deux plateaux jubilatoires. Sur certains unissons naissent des cristallisations harmoniques, faisceaux en trois étagements interchangeables donc disloqués: cri, chant, et danse des pierres.

Le rôle du violoncelle y est primordial. Il est «tête chercheuse» alors que la section des violoncelles devient «queue de comète» en nécessaire décalage, comme une chevelure. Lorsqu’il se fixe sur un son tenu, cela donne le temps au chœur des violoncelles de le rejoindre en un unisson retrouvé, havre que tout l’orchestre vient corroborer, processus inspiré des chants de deuil des moines bouddhistes coréens. Ces unissons sont toujours choisis dans le réseau des harmoniques naturelles des contrebasses. C’est dire la grande attention d’écoute et la responsabilité du soliste dans la conduite de l’œuvre, car c’est lui qui capte et transmet aux autres ces intonations fixes.

L’œuvre est d’un seul tenant, mais peut se diviser en six sections:

  1. Introduction: bruit-métal, rugissement en deux registres et deux matières (bruit-métal; glissandos exclamatifs des cordes en clusters et du tambour à corde).
  2. Montée, première étape. Tête chercheuse avec queue de comète des violoncelles, et début de la grande montée. Transfert vers le grave, incantation et grand méandre, avec cri des pierres (filtré). Hymne en tutti avec ponctuations exclamatives.
  3. Plateau I. Excroissances jubilatoires en strophes croissantes et jeux orchestraux dialogués. Pulsations, élisions, mélismes, arches, reflet de registres, carillons de gongs, cloches, et trompettes. Hymne aux métaux (règne minéral) filtrés par les cordes. Commentaire à la clarinette solo, puis au violoncelle solo, avec citation du “si”, note de la mort du Wozzeck d’Alban Berg, associé avec dernière syllabe du «resurrexi» de la messe grégorienne de Pâques. Fin du grand méandre.
  4. Montée, deuxième étape, avec ses propres errances, nuit étoilée, chœur des cuivres pianissimo, grand mobile en chute d’eau arborescente (une autre forme de la queue de comète), où tous les membres de l’orchestre jouent individuellement. Commentaire vers le deuxième plateau.
  5. Plateau II. En deux strophes contraires, issues de l’hymne hyperdiminué, en hoquet sur quatre registres-timbres, 7 groupes-cellules, 4 timbres percussifs en zigzag (deux secs, deux à résonnances étouffées). Reprise et rétrogradation avec caches en éclats de l’hymne en temps réel et en diminution juxtaposés (au lieu des filtrages antérieurs).
  6. Montée, étape finale. Dernière intervention du violoncelle-solo vers le point culminant de l’œuvre, traversé de quantas en faisceaux contraires. Puis, au-delà de ce sommet, saut dans l’inconnu, ultime abandon. Toute l’œuvre devient ainsi un immense élan vers le silence, comme un bond dans le mystère.

Les pierres crieront, commandée par Radio France, est une œuvre pour violoncelle et orchestre dont la création mondiale a été donnée par l’Orchestre National de France.

Gilles Tremblay

  • Enregistrement: CD: CBC Records PSCD 2028 5