16 musiciens spatialisés et support
La production prodigieuse du film Metropolis de Fritz Lang (1972), dont les nombreux effets spéciaux ont fortement marqué l’histoire cinématographique, en a fait l’un des films les plus stupéfiants et les plus chers jamais réalisés. L’intrigue, qui se déroule dans la ville futuriste de Metropolis (en l’an 2026), met en scène les tensions entre des travailleurs opprimés et leurs riches maîtres capitalistes. Le film est dominé par de fortes images d’une certaine technologie (avec notamment le fameux «homme-machine» de Lang), qui devient dès lors aussi significative que l’action narrative: ce film de Lang est avant tout une critique de la technologie, en plein essor au moment de sa création.
Le film étant silencieux, il se prête naturellement à l’accompagnement musical: c’est pourquoi il a inspiré de nombreux compositeurs, depuis sa réalisation. La partition de Martin Matalon (1995) — qui, par son utilisation de l’électronique en temps réel, exploite forcément elle aussi la thématique de la technologie — est parmi les plus brillantes et perspicaces. Luis Bunuel, fondateur du cinéma surréaliste, déclara qu’il y avait deux Metropolises: d’un côté, l’histoire narrative, et de l’autre, un «poème visuel». Matalon partage ce point de vue, traitant l’intrigue peu traditionnelle à la manière d’une symphonie romantique (des thèmes contrastants sont exposés, entre lesquels s’installe une certaine tension qui est résolue sur un accord de do majeur). L’attention du compositeur semble avoir été plus particulièrement tournée vers l’aspect visuel du film, c’est-à-dire à la fois le rythme de son montage, les jeux d’ombre et de lumière, le style de la photographie, etc. Comme l’a observé Pascal Ianco, la partition de Matalon cherche «à explorer toutes les relations possibles entre la musique et l’image»: l’une et l’autre sont tantôt parallèles, tantôt opposées.
L’orchestration est centrale dans la «dramaturgie» cinématique de Matalon. En effet, si les caractères y sont associés à des représentations musicales distinctes, c’est beaucoup plus par les couleurs que par le leitmotiv traditionnel. La basse, par exemple, est souvent associée à Freder (le «médiateur» entre le monde d’en-haut et d’en-bas); le son «pur» de la guitare électrique, à Maria (la championne de la cause des travailleurs); et le «robotic doppelganger», à la guitare électrique avec distorsion.
L’électronique contribue grandement à l’univers sonore que crée le compositeur: les instru-ments amplifiés et les haut-parleurs sont dispersés autour du public, de manière à produire des effets spéciaux à couper le souffle. Mais par-dessus tout, cette disposition permet aux sons instrumentaux et électroniques de fusionner les uns aux autres, jusqu’au point de se confondre. Il en résulte une désorientation dont l’impact sur le drame est souvent considérable.
Notons que la partition est fortement influencée par le jazz — en témoigne l’utilisation de saxophones, trompettes avec sourdines, et d’une contrebasse en pizzicato. Le compositeur utilise également certaines percussions empruntées à des cultures non-occidentales.
L’œuvre musicale de Matalon sur Metropolis a été commandée par l’IRCAM, pour une exposition organisée au Centre Georges-Pompidou sur le thème de la ville. L’œuvre a été créée le 30 mai 1995, au Théâtre du Châtelet de Paris.
A Deruchie [traduction française: N Pascal, ii-07]
Exécution
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Jeudi 1 mars 2007