récitant
Que faisais-tu
quand la terre a tremblé
au Japon?
J’étais dans ma chambre
à ne rien faire.
Tout semblait enfin si calme autour de moi.
Soudain les éléments déchaînés
à l’autre bout du monde:
l’eau, le feu, la terre et l’air radioactif.
Ne manque que le vent pour emporter
ces îles ailleurs.
Les petits avions flottant.
Les camions poids lourds qui tanguent.
On dirait des mégots
dans un cendrier rempli d’eau sale.
Un paysage noyé effraie,
mais n’émeut pas.
Seule la mort d’un être humain
parvient vraiment à toucher le cœur d’un autre.
Cette jeune fille drapée de jaune
que des photographes insouciants ont changée
en mater dolorosa
est devenue l’arbre qui cache le paysage dévasté
et les corps gonflés d’eau.
J’entends murmurer mon vieux maître Bashô:
«Regarde, regarde,
les vraies fleurs
de ce monde de souffrance.»
Qui, parmi nous, peut
ressentir une si insoutenable douceur?
Est-on obligé de pleurer
quand celui qui vit le drame
fait ce qu’il peut
pour ne pas perdre la face?
Le Japon garde tout
au plus profond de lui-même.
Gare à l’implosion.
Ces images sautillantes captées
par les caméras de sécurité installées
dans les immeubles de la ville
sont gorgées d’émotion.
Tétanisé par ces images qui montrent
les gens se dépêchant de quitter le bureau.
Rien de ce genre pour Port-au-Prince.
Les caméras sont arrivées après.
On ignore de quoi on a eu l’air pendant.
Encore absorbé par la douleur
quand un flash l’aveugle.
C’est pourtant son moment de gloire.
Et cette menace constante:
«Le bilan des morts risque
de s’alourdir.»
Pourquoi ne compte-t-on jamais les vivants?
Au kiosque de la gare,
je vois le mot Japon
dans toutes les langues
sauf en japonais.
Les hebdomadaires ou mensuels
qui ne parlent pas encore du Japon
ressemblent à ces vieux magazines qui traînent
chez le dentiste d’une bourgade de l’Idaho
et racontent une Amérique d’avant le Watergate.
À la télé on ne quitte plus le présent.
Même les reportages qu’on a vus trente fois
sont présentés comme du direct.
Cet officiel à bout de nerfs
tente de temporiser les secouristes
qui piaffent d’impatience pour aider
le trop fier Japon.
Dans le Paris-Genève on se demande
comment voudrait-on mourir si on était au Japon.
Par le feu ou par l’eau?
Une majorité préférait finir écrasée sous sa maison.
La terre tremblait encore quand on a annoncé
au pauvre Japonais une possible catastrophe nucléaire.
Le voilà coincé entre ceux qui lui cachent la vérité
et les autres qui ne craignent pas de le désespérer.
J’ai vu, pour la plupart, ces journalistes
l’année dernière à Port-au-Prince.
Certains étaient aussi au Chili.
Est-ce un nouveau métier?
Kadhafi est assez intelligent
pour reconnaître ce qu’il doit au Japon
tout étant trop rusé pour offrir
cette fois son aide.
Il faut savoir faire le mort.
La Libye et le pétrole; le Japon et le nucléaire.
Le pétrole et le nucléaire alimentent
des débats passionnés dans les pays industrialisés.
On oublie au passage la Libye et le Japon.
Fierté haïtienne et calme japonais.
Mieux vaut la grâce de la fleur de cerisier
pour faire face aux pires catastrophes.
Au lieu de chercher à se rappeler
la date d’un séisme
ne serait-il pas plus sage de l’oublier
ou de la remplacer par le souvenir
d’un premier baiser?
C’était Haïti. C’est le Japon.
Je suis cet écrivain japonais
présent lors du séisme de Port-au-Prince.
Je ne bouge plus de ma chambre.
[v-13]
Exécution
-
Dimanche 24 février 2013