orchestre

Création: 8 décembre 2018, Cendrillon à Berlin, Maison symphonique de Montréal, Montréal (Québec)

Depuis mon enfance, j’ai l’habitude de suivre du regard des avions en vol, jusqu’à ce que ceux-ci disparaissent de mon champ de vision. Cette pratique s’apparente à l’écoute de la résonance d’une note; éventuellement, l’objet observé devient tellement petit que le moment où l’on cesse de le percevoir est estompé, augmentant momentanément notre perception. Ces moments de recueillement pour observer la traversée complète d’un avion au-dessus de moi, sont devenus des gestes de souvenir quotidiens de mon père pilote, décédé très jeune.

Dans ses lettres de jeune homme écrites à ses parents, mon père racontait sa découverte de la musique classique, en particulier les sonates pour piano de Beethoven. Tout au long de À perte de vue… apparaissent des bribes mélodiques tirées de ces sonates, telles des mirages pâles et distordus, comme s’ils nous arrivaient d’une grande distance ou rappelaient un souvenir lointain. Pour intégrer ces fragments mélodiques à l’œuvre, il m’importait de superposer deux couches sonores, occupant chacune un espace distinct sur le plan de la temporalité, du phrasé et du registre de l’orchestre. La couche en avant-plan évoque non seulement la musique classique, mais aussi le jazz et la musique populaire de ma jeunesse, alors qu’en arrière-plan se tissent des mirages musicaux entrelacés avec la première couche.

Aussi, plusieurs techniques utilisées dans cette pièce font allusion au bruit d’un avion traversant le ciel. Ainsi, les instruments solos et les sections de l’orchestre s’inspirent de l’effet Doppler. Comme mon habitude consiste à regarder des avions s’éloigner de mon champ de vision, les gestes de cette pièce sont caractérisés par des notes tenues se transposant lentement vers le bas. J’ai également intégré plusieurs techniques texturales pour signifier le mouvement physique de l’appareil. Des bruits d’air chez les cuivres et les bois, des grondements faibles aux percussions, des coups d’archet circulaires ou verticaux aux cordes: toutes ces techniques visent à représenter le déplacement mécanique et aérodynamique de ce grand corps à travers l’air. Comme l’avion semble précéder le son qu’il génère, il y a un décalage entre ce que nous voyons et ce que nous entendons. Ainsi, les gestes sont souvent désynchronisés au sein de l’orchestre, donnant l’impression d’une persistance sonore traduite dans le temps.

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Exécutions